Cornelis CORT : La Lamentation de la Peinture

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Burin, gravé à partir de deux plaques, d’après Federico Zuccaro (1540/42 - 1609), 679 X 540 mm. Bierens de Haan 221, New Hollstein 212.

Manfred Sellink (New Hollstein, Cornelis Cort) ne distingue pas différents états mais décrit l’œuvre « avant toute inscription » (cartouche et tablette vierges) et liste cinq variantes. Les variantes a à d présentent un texte dans les cartouches et sous la composition. La variante e ne comporte pas d’inscription, mais deux scènes, gravées sur des plaques indépendantes, sont imprimées dans les cartouches.

Notre épreuve ne présentant ni inscription ni scène dans les cartouches correspond par conséquent à l’œuvre « avant toute inscription ». La qualité de son impression confirme cette antériorité.

Très belle épreuve imprimée sur deux feuilles de papier vergé filigrané raboutées. Il manque la tablette inférieure, qui est vierge dans ce tirage. Deux filigranes sont visibles : sur la feuille supérieure, un écu coupé proche de Briquet 1884 (Ecu coupé à une demi-licorne, Lucques vers 1569-1586, Rome 1576-91, Syracuse, 1591) et sur la feuille inférieure, un croissant de lune de 39 x 38 mm environ. Épreuve rognée sur le trait carré ou juste à l’extérieur avec filet de marge, rognée de 2 mm à l’intérieur du trait carré sur le bord gauche uniquement au niveau de la déesse tenant des grenades (probablement Perséphone). Sur la feuille supérieure, un pli vertical médian de séchage un peu frotté dans sa partie haute, un numéro ancien .169. inscrit à la plume et à l’encre. Sur la feuille inférieure, trois petits manques comblés sur le bord supérieur avec reprises de traits horizontaux à l’aquarelle ; l’angle inférieur droit a été rattaché. Inscription ancienne à la plume et à l’encre au verso de chacune des deux feuilles : pictura 1 et pictura 2, renvoyant certainement au titre de la gravure, et 12 Ր, probablement un prix. Rapport de condition sur demande.

On voit parfois des épreuves de la partie supérieure seule, dont la plaque a été conservée jusqu’à nos jours. Les épreuves complètes comme celle-ci sont très rares.

La Lamentation de la Peinture, qui est une pièce allégorique complexe, a suscité différentes interprétations. On la rapproche aujourd’hui de deux autres burins de Cornelis Cort : La Calomnie d’Apelle, également gravé d’après Federico Zuccaro, et L’Académie des Beaux-Arts, d’après Johannes Stradanus. Manfred Sellink consacre une entrée de son catalogue Cornelis Cort, accomplished plate-cutter from Hoorn in Holland à ces trois estampes représentant « Trois allégories des arts visuels » : « Aux 16e et 17e siècles, artistes, théoriciens d’art et amateurs - surtout en Italie - ont fait de nombreuses tentatives pour élever les arts visuels au statut d’une forme d’art intellectuel qui puisse rivaliser avec la poésie, la musique et la rhétorique. […] À la même époque, la Renaissance italienne enregistre un regain d’intérêt pour les moyens d’améliorer la qualité de la formation pratique et théorique des jeunes artistes. […] et d’élever ainsi le statut des arts visuels et de ceux qui les pratiquent. Ces trois burins de Cornelis Cort […] présentent de façon intéressante les deux aspects de cette évolution. »

La Lamentation de la peinture est la plus grande des trois gravures. L’auteur de la composition, Federico Zuccaro, peintre érudit et théoricien de l’art, s’était battu pour réformer l’enseignement de l’art en donnant notamment une place plus importante à la théorie. Il avait participé à la fondation de deux académies, à Florence et à Rome. Il est probable que le peintre assis à gauche, en train de peindre une immense toile dans la partie inférieure de La Lamentation de la Peinture, soit un autoportrait. La jeune femme qui vient l’interrompre peut être interprétée comme une allégorie de la Peinture venue se plaindre auprès du peintre d’un manque de considération. Elle a certes déjà remporté une victoire sur la Jalousie, enfermée dans une grotte sous ses pieds, mais elle poursuit d’autres combats, désignant du doigt la scène qui occupe la partie supérieure de la gravure : sur le mont Olympe, où se tient l’assemblée des dieux, Minerve, déesse de la Sagesse et patronne des Arts, tente de convaincre Jupiter de l’importance de la Peinture en lui présentant un grand tableau : « une peinture allégorique dans laquelle la Fortune, lancée dans son train d’enfer, est tenue à distance par la Foi. Des représentations des vices sont insérées dans le large cadre du tableau : en haut, l'Ignorance, avec des oreilles d'âne ; à droite, un homme barbu remplit des sacs d’argent (l’Avarice) ; en bas, de la viande est rôtie, de la boisson est posée sur une table et un couple fait l'amour (Voluptas) ; à gauche, un personnage nu tient des cartes à jouer et un éventail (la Vanité). » (Inemie Gerards-Nelissen, p. 46). Cette fonction moralisatrice de la Peinture devrait ainsi convaincre Jupiter de la laisser rejoindre les neuf Muses traditionnelles.

Selon Inemie Gerards-Nelissen, le sujet de la Lamentation de la Peinture trouve sa source dans des écrits du 16e siècle relatant l’apparition d’une femme-allégorie de la Peinture se plaignant à un artiste d’un manque de reconnaissance. Elle cite en particulier deux histoires dont l’une est relatée par Michelangelo Biondo dans Della nobilissima pittura (1549).

La Lamentation de la Peinture abonde en détails que nous ne décrirons pas tous et dont certains sont d’ailleurs difficiles à interpréter. Mentionnons simplement ici les deux chiens, avatars de l’Envie, qui tirent l’habit du peintre pour le détourner de son œuvre : nous les retrouvons dans La Calomnie d’Apelle gravée par Cort d’après une autre composition de Federico Zuccaro dans laquelle l’Envie lâche ses deux chiens sur le peintre grec Apelle. Cette scène fait référence à un épisode de l’antiquité célèbre à la Renaissance : un artiste concurrent du peintre ayant diffamé Apelle auprès du roi Midas, le peintre reconnu innocent illustra l’épisode par cette allégorie. Federico Zuccaro aurait ainsi repris cette histoire à son compte : Manfred Sellink note en effet qu’« il se querellait régulièrement avec des clients ou des confrères, raison pour laquelle il fut banni de Rome en 1581 ».

Références : Inemie Gerards-Nelissen : “Federigo Zuccaro and the ‘Lament of Painting’” in Simiolus, 1983, Vol. 13, n°1, 1983, pp. 44-53 ; Manfred Sellink : Cornelis Cort: Accomplished Plate-Cutter from Hoorn in Holland, 1994.