Rodolphe BRESDIN : L’Éclaircie dans la forêt - 1880

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Rodolphe BRESDIN : L’Éclaircie dans la forêt - verso - Sarah Sauvin

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Eau-forte, 242 x 163 mm (feuille). Van Gelder 147.

Très belle épreuve imprimée sur chine chamois appliqué sur vélin fort blanc. Menues salissures dans les angles, sinon très bon état. Épreuve rognée à l’intérieur du coup de planche, avec bonnes marges du cuivre conservées. L’épreuve est montée par un onglet de papier sur une feuille de papier vergé ancien.

Épreuve rarissime. Dirk van Gelder mentionne seulement « deux exemplaires authentiques connus » imprimés par Bresdin lui-même « sur chine appliqué » : l’un est conservé au Kunstmuseum Den Haag, autrefois Gemeentemuseum (épreuve reproduite dans le catalogue de Van Gelder), l’autre, portant le timbre personnel rouge de Bresdin, appartenait à la collection Richard Bühler à Winterthur (épreuve reproduite dans Die Schwarze Sonne des Traums, p. 96, cat n°56). Van Gelder ajoute qu’ « il n’y eut sans doute que quelques épreuves posthumes, toutes sur hollande vergé, par exemple l’exemplaire portant le timbre sec qui se trouve à la Bibliothèque nationale à Paris et dont Rodolphine Bresdin dit : ‘une de celles que Delâtre avait tirées pour moi sur chine hollande… admirable eau-forte des cuivres restés chez Delâtre’ ». Cette épreuve, conservée à la Réserve des Estampes de la BnF, est décrite par Maxime Préaud comme une « épreuve sur chine crème clair appliqué sur vergé crème clair, avec le timbre sec (Lugt, 2194) mordant légèrement sur le sujet placé par erreur dans l’angle supérieur gauche ». Van Gelder mentionne encore une épreuve de tirage posthume, conservée à l’Art Institute de Chicago ; elle est imprimée sur papier vergé crème. Il cite enfin une épreuve dans la collection Paul Prouté à Paris.

L’épreuve que nous présentons est très probablement issue du premier tirage. Le papier, un chine chamois appliqué sur vélin fort blanc (et non sur vergé) est couramment utilisé en effet par Bresdin lui-même pour ses tirages. Van Gelder note ainsi qu’à ses débuts il imprimait le plus souvent sur vergé ou vélin fin fabriqué à la main mais que « plus tard, et surtout depuis qu'il commença à exécuter des lithographies, Bresdin recourut de plus en plus à du papier de Chine, très à la mode au XIXe siècle. C'était en général du vélin fin ou extra-fin, d'excellente qualité et de diverses couleurs : du blanc cassé ou gris clair au crème, jaunâtre et brun clair » qui était ensuite appliqué sur « une seconde feuille de vélin, plus grande, le futur support de l'estampe ». (Van Gelder, vol. 1, Appendice VI, p. 186). Nous savons d’autre part que Bresdin rognait lui-même fréquemment ses épreuves.

Bresdin a gravé L’Éclaircie dans la forêt sur le cuivre d’une autre estampe, La Forêt (VG 142), réalisée peu de temps auparavant, en la recouvrant presque entièrement, comme l’a compris Dirk van Gelder, réalisant que Bresdin avait pratiqué de même dans plusieurs de ses dernières eaux-fortes : « Dans sa dernière période, il ne fait plus que dépeindre un monde inhabité. En 1880, il produit quatre eaux-fortes, fruits d'une profonde intimité: Paysage rocheux (cat. 143), le Cours d’eau (cat. 144), le Ruisseau sous-bois (cat. 145) et L'Éclaircie dans la forêt (cat. 147). Toutes les quatre se fondent sur des œuvres antérieures [Le Ruisseau des gorges (cat. 130) pour le Paysage rocheux, la Cité lointaine (cat. 131) pour le Cours d'eau, les Baigneuses dans la montagne (cat. 115) pour le Ruisseau sous-bois, la Forêt (cat. 142) pour L''Éclaircie dans la forêt.] Ses difficultés matérielles inspirent à Bresdin des miracles d'ingéniosité. II racle ses vieilles plaques de cuivre et les recouvre de vernis noir non plus, comme à Bordeaux, pour modifier ses compositions, pour en faire d'autres états, mais pour projeter son nouveau rêve sur les vestiges, échappés au racloir, d'un monde à présent renié. » (Van Gelder, vol. 1, p. 152).

Le sujet de L’Éclaircie dans la forêt reste énigmatique. Van Gelder cite cette description que Robert de Montesquiou fait de l’épreuve qu’il possédait alors dans sa collection (qui est selon Van Gelder celle conservée aujourd’hui à l’Art Institute de Chicago) : « peut-être un ressouvenir du voyage d'Amérique, et comme un frontispice de forêt vierge : un inextricable fouillis de branchages circulairement enchevêtrés de frondaisons et de lianes, à l'entour d'une vague trouée qui s'éclaircit au centre, telle que parmi les épineux empêchements des difficultés et des obstacles, une lumineuse perspective sur l'inconnu, sur l'espérance... » (Robert de Montesquiou, p. 29-30).

Si la perspective de L’Éclaircie dans la forêt semble à première vue s’apparenter à celle de Branchages (VG 146), on s’aperçoit vite qu’elle n’est pas du tout aussi claire. Dans Branchages, la perspective est une vue en contre-plongée, le regard du spectateur se situant au bas du tronc, à hauteur des racines. De même, Paysage rocheux, le Cours d’eau et le Ruisseau sous-bois s’inscrivent dans l’espace classique du paysage, où le spectateur peut aisément se situer. Ce n’est plus le cas de L’Éclaircie dans la forêt, où malgré la perspective ouverte par la trouée le spectateur ne trouve aucun repère : contemplant cet enchevêtrement de branches et de feuillages, il s’interroge non seulement sur ce qu’il voit mais sur son point de vue. Est-il dedans ou dehors, au-dessous ou au-dessus ? Comme l’observe François Fossier « on ne sait vraiment pas où se placer dans cet inextricable lacis de racines, de fougères, de lianes, de feuillages ténus. » (Fossier, p. 17). La trouée elle-même ne constitue pas à proprement parler une ouverture sur un arrière-plan, comme dans le Bon Samaritain (VG 100) ou La Fuite en Égypte (VG 85 où une ville se dessine dans le lointain. Le seul repère indiqué par Bresdin, ce sont les signatures presque invisibles gravées au bas : le monogramme RB au milieu et les lettres RoDophe BReDin (sic) précédées de la date 1880 à droite. Or, l’estampe se laisserait regarder aussi bien dans un autre sens. C’est ainsi que sur l’épreuve de la BnF le timbre de Rodolphine Bresdin puis celui de la bibliothèque ont été apposés par erreur en haut de l’estampe et non au bas où se trouvent les signatures (cette épreuve a été par suite reproduite à l’envers dans Bresdin, Dessins et gravures de Dirk van Gelder en 1976, puis dans le bon sens dans le catalogue raisonné).

Références : Dirk van Gelder, Rodolphe Bresdin, vol. 1, Monographie, vol. 2, Catalogue raisonné de l'œuvre gravé, La Haye, 1976 ; Dirk van Gelder, Rodolphe Bresdin : Dessins et Gravures, Paris, 1976 ; Hans Albert Peters, Die Schwarze Sonne des Traums : Radierungen, Lithographien und Zeichnungen von Rodolphe Bresdin, 1822-1885, 1972 ; Robert de Montesquiou, L'inextricable graveur - Rodolphe Bresdin, 1913. François Fossier, Rodolphe Bresdin (1822-1885) un graveur solitaire, 1990.