Carlo LASINIO (1759 - 1838) : Portrait d’Edouard Dagoty, inventeur de la gravure en couleurs - c. 1784

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Prix : 18 000€

Manière noire imprimée en couleurs à partir de quatre planches, 502 x 435 mm (feuille). Nagler 3, Le Blanc 149, Singer 444.

Très rare épreuve, sans aucune lettre imprimée, un titre ajouté en italien à la plume et à l’encre : Ritrato del Sige: Edoardo Dagoti inventore d’incidere a colori, nato in Parigi l’anno 1745, morto in Firenze an: 1783. Il est possible que la lettre n’ait pas encore été gravée, à moins qu’elle n’ait pas été imprimée sur notre épreuve. La lettre gravée que l’on trouve sur la plupart des épreuves (voir par exemple l’épreuve du Rijksmuseum) est en français : Portrait d’Edouard Dagoty inventeur de la gravure en cōleurs / neè a Paris l’An 1745. mort a Florēce l’8. Maj 1783. / Pent par Kanchsius Gravé, et desinee par de Lasinio Imprime par Labrelis. Nr. 4. Certaines épreuves ne comportent pas le numéro (voir par exemple l’épreuve de la National Gallery of Art). La légende de notre épreuve précise le sujet de la gravure, sans mentionner les auteurs ni l’imprimeur. Hans Singer signale une autre épreuve portant une inscription manuscrite en italien : Odoardo Dagoty / Inventore d’incidere a Colori / pintosto migliatori, poiche l’invenzione / e dovuta a Giac° Le Blond / In Parigi nato 1745 Morto 1784 in Milano. Si le lieu et la date du décès de Gautier d’Agoty sont ici erronés, l’attribution à Le Blond de l’invention de la manière noire en couleurs est par contre tout à fait exacte.

Superbe épreuve imprimée en couleurs (marron foncé, marron clair, bleu-vert et rouge), avec quelques rares rehauts de gouache (comme souvent) sur papier vergé filigrané (filigrane : GORI LIVINI e COMPAGNI). Rognée à la cuvette, comme très souvent pour cette estampe. Très bon état général. Infimes petits manques sur les bords supérieur et inférieur ; quelques épidermures et petites rousseurs au verso.

La plupart des épreuves de ce rare portrait sont rehaussées de gouache. Certaines sont presque entièrement repeintes, ce qui dénature la manière noire en couleurs. C’est le cas par exemple de cette épreuve vendue le 29 avril 2021 à Drouot, ou encore de cette épreuve conservée au British Museum. Notre épreuve ne comporte par contre que quelques légères pointes de gouache : petite touche de violet sur l’un des pinceaux et sur la tranche du carton à dessin, petite pointe de blanc sur les dents et dans les yeux. Tout le reste de l’estampe est le produit de centaines de petits points de couleurs gravés à la manière noire.

Provenance :

- Louise Balthy (1867-1925), interprète de café-concert à la Belle Époque. Cette épreuve fut vendue aux enchères en 1917 à la galerie Georges Petit ; c’est le numéro 42 du catalogue, reproduit en face de la page 8 et ainsi décrit : « Magnifique et rarissime épreuve imprimée en couleurs et avant toutes lettres. Sur la tablette au-dessous du portrait, on lit l’inscription italienne suivante qui a été traduite en français dans les épreuves postérieures, avec la lettre : Ritrato del Sige Edoardo Dagoty, inventore d’incidere a colori, nato in Parigi l’anno 1745, morto in Firenze an. 1783. »

- Henri-Jean Thomas (1872-1960), sa marque imprimée au verso (Lugt 1378).

Carlo Lasinio, né en 1759 à Trévise, avait appris la technique de la gravure en manière noire imprimée en couleurs auprès d’Édouard Gautier-Dagoty, probablement à Florence où ce dernier vint s’installer à la fin de sa vie. Dans la légende du portrait de son maître, Lasinio lui attribue l’invention du procédé. On sait cependant que l’inventeur de la manière noire imprimée en couleurs à partir de plusieurs plaques était Jacob Christophe Le Blon  (1667-1741) qui avait reçu en 1731 le privilège d’exercer seul, avec ses adjoints, l’art « d’imprimer les tableaux avec trois planches » (Arrêt du Conseil d’État, daté du 12 novembre 1737, cité par Florian Rodari dans Anatomie de la couleur, p. 62). Le procédé de Le Blon était censé s’appuyer sur la roue chromatique de Newton et les recherches sur la décomposition de la lumière. La combinaison des trois couleurs primaires : bleu, jaune et rouge, permettant d’obtenir toutes les nuances visibles dans la nature, l’invention de Le Blon consista à appliquer ce procédé à la gravure, en imprimant une image en trichromie à l’aide de trois plaques gravées chacune en manière noire, chaque petit point imprimé en bleu, jaune ou rouge sur le papier apportant sa touche à la restitution nuancée du « coloris naturel » du sujet choisi. À la mort de Le Blon, en 1741, le père d’Édouard Gautier d’Agoty, Jacques Fabien, qui avait suivi un court temps l’enseignement de Le Blon, obtint du roi un nouveau privilège et s’employa dès lors à développer le commerce de l’estampe en couleurs, que poursuivirent ses cinq fils, faisant ainsi oublier son véritable inventeur.

Le grand Portrait d’Edouard Dagoty, gravé par Carlo Lasinio d’après un tableau du portraitiste allemand Johann Ernst Heintze dit Heinsius (1740-1812), est une de ses plus belles réalisations dans cette technique et un bel hommage de l’élève à son professeur. Malgré les difficultés liées à la technique très exigeante de la manière noire en couleurs, Lasinio a réussi à créer un portrait vivant et harmonieux d’Édouard Gautier d’Agoty serrant sous son bras droit un carton à dessin et tenant à la main porte-crayons et pinceaux, le visage rayonnant, prêt à se mettre à l’ouvrage.

Références : Hans Wolfgang Singer : « Der Vierfarbendruck in der Gefolgschaft Jacob Christoffel Le Blons : mit Oeuvre-Verzeichnissen der Familie Gautier-Dagoty, J. Roberts, J. Ladmirals und C. Lasinios (Schluß.) ». Monatshefte für Kunstwissenschaft 11, nᵒ 2/3 (1918) : p. 52‑73 ; Florian Rodari (éd.) : Anatomie de la couleur: l’invention de l’estampe en couleurs, 1996.