Dominique-Vivant DENON : L’Abbé Zani faisant dans le Cabinet National des estampes de Paris l'intéressante découverte d'une gravure de Maso Finiguerra […] - c. 1798

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 Dominique-Vivant DENON : L’Abbé Zani - feuille - Sarah Sauvin
 Dominique-Vivant DENON : L’Abbé Zani - verso - Sarah Sauvin

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Eau-forte, pointe sèche et manière de lavis. 206 x 135 mm. IFF 341, 3e état/3 ; De la Fizelière 209, The Illustrated Bartsch, vol. 121, n° 191.

Impression du 3e état (sur 3) avec les ajouts à la pointe sèche, la teinte de fond apportée par une planche supplémentaire, et la lettre gravée dans la partie inférieure.

Très belle épreuve imprimée au repérage sur papier vélin. Très bon état général. Quelques rares rousseurs claires marginales. Bonnes marges (feuille : 276 x 230 mm).

Vivant Denon expose le sujet de la gravure dans la longue lettre gravée en pied : « L’ABBÉ ZANI, faisant dans le Cabinet National des estampes de Paris, l’intéressante découverte d’une gravure de Maso Finiguerra dont on ne connoit pas encore une seconde épreuve et la seule peut-être qui existe : elle représente l’assomption ou le couronnement de la Vierge. Cette planche en argent qui fut dorée, émaillée et niellée en 1452 par Maso Finiguerra lui-même, pour servir de Paix ou Patène, appartient à l’Eglise de St. Jean de Florence, et le souffre qui en a été tiré, se voit dans la même ville chez Mr. le  Conseiller Serrati. »

En 1797, l’abbé Zani découvrit un nielle sur papier représentant le couronnement de la Vierge dans l’un des volumes de gravures de maîtres anciens de la collection de l’abbé de Marolles, noyau de la collection d’estampes de la Bibliothèque nationale. Cette épreuve, la seule aujourd’hui conservée, résulte soit de l’impression sur papier de la plaque d’argent dorée et niellée créée en 1452 pour l’église San Giovanni à Florence, conservée actuellement au musée du Bargello (inv.33 O.R.) soit de l’impression d’une empreinte en soufre effectuée sur la plaque d’argent. On ne connaît que deux empreintes en soufre : l’une est conservée au British Museum, l’autre dans la collection Edmond de Rothschild au Département des Arts Graphiques du Louvre.

La découverte de cette épreuve unique par l’abbé Zani était importante : c’était en effet la plus ancienne « gravure » italienne conservée. Comme l’explique Gisèle Lambert : « en Italie, ce sont des pièces d’orfèvrerie, les nielles, qui sont à l’origine des premières estampes. Des épreuves de plaques d’or ou d’argent (ou d’une empreinte en soufre servant d’intermédiaire) gravées dans le but d’être niellées furent tirées sur papier. Cette technique d’orfèvrerie fut à l’origine du développement de la gravure dans ce pays, lui conférant une originalité certaine ». L’impression d’une épreuve sur papier « permettait à l’orfèvre de contrôler son travail – l’opération de niellage ne permettant aucune retouche –, de conserver un témoin de son œuvre, de constituer peut-être aussi un livre de modèles. Elle n’était pas destinée à être diffusée, ce qui explique la rareté des exemplaires conservés ». (Gisèle Lambert, « Nielles », §1 et 3, in Les Premières Gravures Italiennes). A l’époque de la découverte de l’abbé Zani, le nielle sur papier de Maso Finiguerra passa même pour une épreuve de la toute première gravure datable, ce qui rendait cette découverte encore plus sensationnelle.

Jean Duchesne aîné, alors jeune assistant au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale, a décrit l’enthousiasme de l’abbé Zani lorsqu’il communiqua sa découverte aux gardes du Cabinet en 1798 : « Il serait difficile de peindre la joie de l'estimable Abbé Zani, au moment où, ayant acquis la certitude de sa découverte, il s'empressa de nous en faire part. Cet excellent homme était tellement sourd, qu'il entendait à peine les complimens qu'on lui faisait sur l'importance de la pièce, qu'il avait reconnue comme une épreuve tirée par Maso Finiguerra, d'après une planche gravée par lui. Parlant très-mal le français, il s'exprimait avec beaucoup de difficulté, et cherchant alors à se mieux faire comprendre, il parlait italien ; puis, pour s'expliquer mieux encore, il se servait de phrases latines que sa prononciation rendait difficiles à entendre, et d'expressions techniques, dont quelquefois nous ne pouvions sentir la justesse ; employant sans cesse les mots niello, niellare, niellatore, dont le sens ne nous était pas connu ; le tout entremêlé d'exclamations joyeuses, dont il a rendu compte dans son ouvrage, avec une naïveté et une bonhomie tout-à-fait extraordinaires, mais qu'on serait bien coupable de regarder comme un radotage, pardonnable a un vieillard dont l'ouvrage ne serait qu'une simple rapsodie. L'agitation dans laquelle était l'abbé Zani devait paraître d'autant plus singulière, que depuis six mois qu'il venait tous les jours travailler à la même place, il avait été facile de remarquer que son infirmité le rendait semblable à un terme, et l'empêchait de prendre part à rien de ce qui se passait autour de lui. Très jeune à cette époque, et ne pouvant attacher à cette intéressante découverte autant d'importance que notre savant amateur, je n'oublierai jamais cependant la scène singulière que produisit l'état d'enthousiasme où se trouvait ce digne abbé Zani ; elle m'a frappé si fortement, qu'après plus de vingt-cinq ans, elle est encore parfaitement présente à mon esprit. » (Essai sur les nielles, 1826, p. 55-56).

Le portrait attachant de l’abbé Pietro Zani gravé par Dominique Vivant Denon est un témoignage vivant de cette découverte et de l’impression qu’elle fit sur l’artiste. Pietro Zani raconte : « Je ne tardais pas un instant à faire part de ma découverte à M. Joly […] garde du Cabinet (de France), à ses employés et à plusieurs de ses amis, au nombre desquels était le célèbre M. Denon, qui voulut de suite graver mon portrait dans le moment même où il m’avait vu, une loupe à la main, examiner cette estampe ». (Materiali per servire alla storia dell’origine e de progressi dell’incisione in rame e in legno, e sposizione dell’interessante scoperta d’una stampa originale del celebre Maso Finiguerra, citation traduite par Georges Duplessis in Histoire de la Gravure, 1880, p. 31).

Le nielle de Maso Finiguerra, quoiqu’aujourd’hui déchu de son statut de toute première gravure, reste un jalon important dans l’histoire de l’estampe. Le portrait gravé par Vivant-Denon témoigne à son tour, par la gravure elle-même, du plaisir et de l’enthousiasme des historiens et des amateurs pour les épreuves précieuses dont ils examinent les qualités et apprécient la valeur artistique et historique.

Références : Albert de la Fizelière, L’œuvre originale de Vivant Denon, 1873 ; Gisèle Lambert, Les premières gravures italiennes : Quattrocento-début du cinquecento. Inventaire de la collection du département des Estampes et de la Photographie. Nouvelle édition [en ligne]. Jean Duchesne, Essai sur les nielles, 1826 ; Georges Duplessis, Histoire de la Gravure, 1880.