Jean CHARTIER : Jean Chartier assis dans son atelier

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Jean Chartier Burin Jean Chartier assis dans son atelier Verso
Jean Chartier Burin Jean Chartier assis dans son atelier Filigrane
Jean Chartier Burin Jean Chartier assis dans son atelier

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Burin, 185 x 143 mm. Robert-Dumesnil non décrit, Andresen 4, Duplessis 3, IFF p. 215 (décrite comme œuvre dont la BnF ne possède pas d'épreuve).

I. Chartier : excudebat aureliae. gravé dans le sujet en bas à gauche. Jean Chartier est le premier graveur français connu qui ait employé la mention d’édition excudit ou excudebat sur ses estampes, parfois accompagnée d’une date (1557 ou 1558) et du nom latin de sa ville natale Aurelia (Orléans), comme le rappelle Séverine Lepape (Simiolus, volume 39, n° 3).

Superbe épreuve imprimée sur papier vergé filigrané. Le filigrane, difficile à lire, semble proche de Briquet 5374 et 5375 : trois croissants accompagnés du nom de PERRET dans un cartouche. Ces deux filigranes ont été relevés par Briquet sur des papiers de Sens vers 1569 et 1571 et proviennent selon lui de la papeterie de Mallay-Ie-Roy, près de Sens, que Claude Perret exploitait peu après 1559. Cette origine du papier et sa datation semblent assez cohérentes avec la production d’estampes par Jean Chartier à Orléans entre 1557 et 1580. Quelques rousseurs. Très bon état de conservation.

Provenance : Alexandre-Pierre-François Robert-Dumesnil (1778-1864), son timbre sec imprimé en pied (Lugt 2200).

De toute rareté. Seule épreuve que nous connaissions à ce jour.

Robert-Dumesnil ne connaissait pas cette estampe lorsqu’il a publié en 1841 son catalogue des œuvres de Jean Chartier (inclus dans le tome 5 du Peintre-graveur français). L’épreuve que nous présentons, acquise par Robert-Dumesnil après 1841, figure dans le catalogue de sa vente d’estampes anciennes des 12 et 13 avril 1858, soit six ans avant son décès, sous le n°78 : « Pièce capitale non décrite » (Catalogue d’estampes anciennes […] du cabinet de M. R. D., n°78, p. 21). C’est cette rare épreuve, vendue en 1858, que cite également Georges Duplessis lorsqu’il complète en 1871 le catalogue des œuvres de Jean Chartier dans le tome 11 du Peintre-graveur français.

Frits Lugt souligne que si Robert-Dumesnil « parvint à réunir une des collections les plus considérables qui aient jamais été formées par un amateur français » ses acquisitions étaient surtout motivées par son travail de catalographe. Charles-Philippe de Chennevières explique que Robert-Dumesnil « achetait pour mieux voir, manier et décrire ; puis, après description, il faisait des ventes pour se procurer des moyens nouveaux d'acquérir d'autres pièces à même usage » (Chennevières, Souvenirs, IV, p. 149, cité par Frits Lugt).

Nous savons peu de choses de la vie et de l’œuvre de Jean Chartier. L’érudit bibliographe La Croix du Maine (1552-1592) nous apprend qu’il est « natif d’Orléans, excellent peintre & graveur en taille douce, etc. » et qu’« il a mis en lumière son premier livre des Blasons vertueux, contenant dix figures gravées en taille douce, & imprimées par lui-même à Orléans l’an 1574. » (Premier volume de la bibliothèque du sieur de La Croix-du-Maine, 1584, p. 215-216). La première planche de cette série des Blasons de vertus, connue sous le titre Jean Chartier dans sa librairie, représente un homme avec une longue barbe, debout devant une étagère chargée de livres, coiffé d’un bonnet bordé de fourrure et vêtu d’un long manteau découvrant ses jambes nues, tenant à la main une bandelette qui annonce le contenu de l’œuvre. Séverine Lepape note que cette figure est considérée par nombre d’historiens comme un autoportrait de Jean Chartier (Simiolus, volume 39, n°3, p. 215).  

C’est à l’évidence le même homme qui est représenté ici assis dans son atelier : même visage à moitié caché par une moustache et une barbe foisonnantes, mêmes mains aux doigts fins, mêmes jambes nues. On reconnaît également le bonnet bordé de fourrure et le long manteau découvrant ici un vêtement ajusté sur le torse. Le décor et la scène sont par contre bien plus riches. Tandis que Jean Chartier dans sa librairie se limite au portrait de l’artiste debout devant une étagère de livres, Jean Chartier assis dans son atelier le représente entouré d’un groupe de personnages et de nombreux objets. La scène est généralement interprétée comme une leçon donnée par le maître, qui tient un grand livre ouvert sur ses genoux et désigne du doigt une carte du système géocentrique de Ptolémée à l’arrière-plan. Le groupe d’élèves est composé de deux adolescents et neufs jeunes enfants, tous plus ou moins attentifs. Trois enfants installés dans un coin se penchent sur un petit livre ; deux autres sollicitent le maître en tendant vers lui, l’un son livre, l’autre un canif ; un autre, derrière lui, regarde par-dessus son épaule ; un autre encore boit à un petit cruchon. Deux enfants à l’arrière-plan forment un groupe énigmatique : l’un, dont la tête est ceinte de lauriers, tient dans ses mains une petite couronne et une banderole où se lit Laus deo (Gloire à Dieu) ; l’autre, qui lui passe son bras droit sur l’épaule, a le bras gauche coupé.

Des objets divers sont accrochés ou posés sur une étagère de part et d’autre de la carte murale : à gauche, des livres, des fioles, une truelle, un piochon, une brosse et un petit cadre contenant un portrait ; à droite, un encrier relié à un étui à plume, un petit pistolet, un canif, un petit sabre, un fouet, des verges, un luth, une règle, un compas et deux clés. Des enfants tiennent également des objets : une équerre et une règle, une plume, un canif. L’un des deux adolescents tient une plume à écrire et regarde l’autre qui l’entoure de ses bras, lui présentant d’une main un petit livre ouvert et tenant dans l’autre main un marteau d’orfèvre. A l’avant-plan, sur le sol carrelé jonché de fleurs et de fruits, figurent une sphère armillaire et un cube, ainsi qu’une figure plane représentant un cercle dans lequel s’inscrivent un carré, un pentagone et un triangle équilatéral.

Le peu que nous savons de la vie de Jean Chartier ne nous permet pas de faire la part du réel et du symbolique dans cette estampe. Plusieurs autres gravures sont allégoriques : les Blasons de Vertus, l’Homme nu assis dans un paysage (R.D. 1), la Divinité demi-nue au milieu d’animaux (Duplessis 2) ou encore L’Envie (Duplessis 5). Cette dernière représente un homme barbu, vêtu d’amples habits découvrant ses jambes nues, occupé à écrire dans un livre tandis qu’à côté de lui une femme peigne de longues tiges de chanvre sur les pointes d’un séran, quand il est brusquement assailli dans son dos par la figure effrayante d’une vieille femme nue brandissant des serpents.

Jean Chartier assis dans son atelier dénote l’influence de l’école de Fontainebleau, notamment du Primatice. Marianne Grivel n’exclut d’ailleurs pas que Jean Chartier ait travaillé au château de Fontainebleau : sa gravure La Masquarade de Persépolis est l’interprétation d’une fresque du Primatice ornant le mur de la chambre de la Duchesse d’Étampes, à Fontainebleau. (Grove Art Online, notice sur Jean Chartier, 2003). Marianne Grivel note également que les gravures de Chartier de sa propre composition sont « typiques du style de Fontainebleau et représentatives du maniérisme provincial français dans leur raffinement presque excessif et quelque peu anguleux ». Mais si la figure de l’homme assis, aux mains d’une grande finesse et aux jambes démesurées répond en effet aux canons de l’école de Fontainebleau, la technique de Chartier reste cependant très personnelle, comme l’explique Robert-Dumesnil : « Son burin, très-fin, est animé de travaux déliés de pointe sèche, le tout assaisonné d’une espèce de pointillé qui produit un empâtement tendant à mieux rendre l’effet que le maître se proposait. » (Le Peintre-graveur français, tome 5, p. 51).

Références : Alexandre-Pierre-François  Robert-Dumesnil : Le Peintre-graveur français, tome 5, 1841 ; Catalogue d’estampes anciennes […] du cabinet de M. R. D., 12 et 13 avril 1858 ; Andreas Andresen : Handbuch für Kupferstichsammler, vol. 1, 1870 ; Georges Duplessis : Le Peintre-graveur français, tome 11, 1871 ; André Linzeler : Inventaire du Fonds Français, Graveurs du seizième siècle, tome 1, 1932-1935 ; Séverine Lepape : « The production of prints in France at the time of Hieronymus Cock », in Simiolus, volume 39, n° 3, 2017.