Charles MERYON : La Morgue - 1854

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Eau-forte et pointe sèche, 230 x 207 mm. Delteil 36, Schneiderman 42, VII/VII.

Impression de l’état définitif avec l’inscription ajoutée sur la façade au centre : imagerie religieuse exportation. Tirage à 20 épreuves (indiqué par Meryon sur une épreuve conservée par le British Museum, avec la mention « bon à tirer ») ; le cuivre détruit ensuite par Meryon. Schneiderman note que la date 1850 mentionnée dans la lettre sous le titre à partir du 5e état est probablement celle du dessin préparatoire.

Très belle épreuve imprimée sur une feuille de vergé ancien filigrané (filigrane difficilement lisible). Excellent état. Toutes marges (feuille : 245 x 355 mm). 

Œuvre « sinistre, émouvante, extraordinaire » (L. Delteil), La Morgue est la dix-neuvième des 22 planches de la Suite des Eaux fortes sur Paris publiée par Meryon entre 1852 et 1854. Philippe Burty notait à son propos :

« Aux yeux de quelques amateurs cette pièce est peut-être la plus remarquable de tout l'œuvre. Il était impossible de tirer un parti plus émouvant d’un coin de maisons qui, dans la réalité, étaient loin de produire sur l’âme une semblable impression. Ces toits bizarrement superposés, ces angles qui se heurtent, cette lumière aveuglante qui rend si frappante l’opposition des masses d’ombre, ce monument qui prend sous le burin de l’artiste une vague ressemblance de tombeau antique, offrent à l’esprit je ne sais quelle énigme dont les personnages vous disent le mot sinistre ; la foule groupée, penchée sur le parapet du quai, regarde un drame qui se passe sur la berge : un cadavre vient d'être retiré de la Seine ; une petite fille sanglote ; une femme se renverse en arrière, éperdue, étouffée par le désespoir ; le sergent de ville donne aux mariniers l'ordre de porter à la Morgue cette épave de la misère ou de la débauche. » (« L’œuvre de Charles Meryon », Gazette des Beaux-Arts, 5, n° 15, 1863, p. 83).

Bien qu’il grave avec précision le moindre détail des immeubles et du quai, on sait que Meryon se soucie moins de l’exactitude de la représentation que de l’impression qu’il veut rendre. Mais cette impression ne doit pas être produite par un artifice, elle doit émaner directement des contrastes d’ombre et de lumière sur les façades où se découpent les rangs de fenêtres obscures, de l’étagement des toits et de leurs cheminées dressées comme des flèches gothiques, et du bâtiment trapu de la Morgue dont les cheminées du crématorium rejettent une lourde fumée qui peine à s’élever. Le repêchage du corps, cette scène dramatique qu’observent les badauds accoudés au parapet, redouble le sentiment funeste qu’inspire le lieu. Comme le note Burty avec justesse : « La ville, la rue, l’édifice, qui ne jouaient jusqu’alors que le rôle banal du cadre ou de la toile de fond, se sont animés de la vie latente de l’être collectif. » (Gazette des Beaux-Arts, 5, n° 14, 1863, p. 523). Or, cette « vie latente » est guettée par un destin sinistre : ces immeubles seront bientôt détruits.

Baudelaire admirait les Eaux fortes sur Paris et proposa d’écrire en marge des « rêveries philosophiques d’un flâneur parisien ». Meryon, qui ne goûtait pas du tout l'idée de « méditations poétiques en prose », lui répondit sèchement qu’il fallait s’en tenir à une description exacte des gravures et des lieux représentés :

« Il faut dire : à droite, on voit ceci ; à gauche, on voit cela. Il faut chercher des notes dans les vieux bouquins. Il faut dire : ici, il y avait primitivement douze fenêtres, réduites à six par l'artiste ; et, enfin, il faut aller à l'Hôtel de Ville, s'enquérir de l'époque exacte des démolitions. » Et Baudelaire ajoutait exaspéré : « M. Meryon parle, les yeux au plafond, et sans écouter aucune observation. » (Lettre à Poulet-Malassis, 16 février 1860, citée par L. Delteil dans Le Peintre-graveur illustré, vol. 2, Charles Meryon).

La morgue et les immeubles dessinés par Meryon étaient situés au début du Quai du Marché neuf, à l’emplacement de l’actuelle Préfecture de Paris. En même temps que le titreajouté dans le 5e état Meryon a gravé sur une façade à gauche HOTEL DES TROIS BALANCES MEUBLE, et sur une autre à droite l’inscription : SABRA DENTISTE DU PEUPLE. L’Hôtel des trois balances était effectivement situé au 6, Quai du Marché neuf. Quant à Sabra « dentiste populaire » réputé pour ses prix modiques, après la démolition des immeubles du Quai du Marché neuf, dans les années 1860, il déménagea de l’autre côté du boulevard, à l’angle du Quai des Orfèvres.

Dans le 7e et dernier état de La Morgue, dont Meryon retoucha le cuivre en 1863, on lit sur la façade d’immeuble l’inscription : imagerie religieuse exportation. Il s’agit probablement de l’éditeur Charles-Eugène Glémarec, spécialiste de l’imagerie populaire gravée sur bois, installé en 1847 au 30, Quai du Marché neuf. Une photographie de la morgue et des maisons du quai prise par Henri Le Secq en 1855 témoigne du grand nombre d’inscriptions qui couvraient alors la façade de ces immeubles.

Références : P. Burty, « L’œuvre de Charles Meryon », in Gazette des Beaux-Arts, 5, n°14 et n°15, 1863, p. 76-88 ; Loÿs Delteil, Le Peintre-graveur illustré, vol. 2, Charles Meryon, 1907 ; C. Geoffroy, Charles Meryon, H. Floury, 1926 ; R. Schneiderman, The Catalogue raisonné of the Prints of Charles Meryon, Garton & Co. 1990 ; Gallica : Avril Frères, Plan d'expropriation pour la construction de la préfecture de police et du marché aux fleurs.

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