Francisco GOYA y LUCIENTES : Buen Viage [Bon voyage] - 1798/1799
VENDU
Eau-forte, aquatinte, brunissoir et burin, 215 x 151 mm. Harris 99, III-1 (sur 12).
Planche 64 de la série Los Caprichos [Les Caprices], en tirage de la première édition, 1799 (tirage à environ 300 exemplaires).
Superbe épreuve imprimée à l’encre légèrement sépia sur papier vergé. Excellent état de conservation : rares rousseurs dans les marges. Grandes marges (feuille : 302 x 207 mm).
Provenance : ancienne collection Roger Passeron (1920-2020), son timbre imprimé en rouge au verso de la feuille (Lugt 4096).
Tomás Harris souligne l’emploi par Goya dans cette planche de deux types de grains d’aquatinte, les uns assez grossiers, les autres plus fins, et du brunissoir utilisé à la façon d’une manière noire pour créer une variété de tons. Si Goya fait largement usage ici de l’aquatinte afin de créer les clairs-obscurs si caractéristiques de la série des Caprices, il a en revanche rarement aussi peu utilisé l’eau-forte que dans Buen Viage. Le paysage que survole le groupe de sorcières et de démons est presque entièrement dessiné à l’aquatinte, à l’exception de quelques petits traits ajoutés à l’eau-forte dans le coin inférieur gauche. Les figures, un peu plus détaillées à l’eau-forte, ne possèdent cependant pas de contours nets contrairement à la plupart des autres planches de la série. Seuls quelques rehauts d’une lumière blafarde obtenue au brunissoir éclairent les visages difformes et tombent sur l’épaule et le genou de la monstrueuse créature ailée. Ce clair-obscur subtil, bien préservé sur cette épreuve, crée l’atmosphère inquiétante décrite par Mercedes Cerón-Peña : « Le flou au sein duquel les créatures émergent ou disparaissent dans les couches veloutées de l’aquatinte à l’arrière-plan donne à la scène une nature cauchemardesque. » (Goya’s graphic imagination, p. 128, traduit par nous). Cette atmosphère se perdra dans les tirages successifs à mesure que l’aquatinte s’usera et que les traits d’eau-forte, plus résistants, sortiront davantage.
Mercedes Cerón-Peña note certaines différences entre le dessin préparatoire, conservé au Musée du Prado (n°441), et la gravure : la créature ailée ne regarde plus devant elle mais vers la terre qu’elle survole tandis que la figure centrale montée sur son dos a tourné son visage vers nous et nous fixe, l’œil et la bouche grands ouverts.
Le manuscrit du musée du Prado, parfois attribué à Goya, commente ainsi cette planche : « ¿Adónde ira esta caterva infernal dando aullidos por el aire entre las tinieblas de la noche? Aún si fuera de día, ya era otra cosa, y, a fuerza de escopetazos, caería al suelo toda la gorullada; pero como es de noche nadie las ve ». « Où ira-t-elle cette infernale cohorte, hurlant dans les airs à travers les ténèbres de la nuit ? Encore, si c’était le jour, ce serait autre chose ; à force de coups de fusil l’on ferait tomber à terre toute cette cohue, mais il fait nuit, personne ne la voit. » (traduction citée par Jean-Pierre Dhainault, Les Caprices, 1999, p. 166).
Références : Tomás Harris : Goya : Engravings and lithographs, 1964 ; Mark P. McDonald, avec des contributions de Mercedes Cerón-Peña, Francisco J. R. Chaparro et Jesusa Vega : Goya’s graphic imagination, 2021.