Jean DUVET : Saint Sébastien, entre Saint Antoine et Saint Roch - c. 1550/1555

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Burin, 247 x 161 mm. Bartsch 10, Bersier 48, Eisler 70.

Très belle épreuve, imprimée sur papier vergé filigrané (P cœur V). Épreuve rognée sur ou juste à l’intérieur de la cuvette en tête sans perte de gravure, juste à l’intérieur de la cuvette sur le bord droit avec infime perte à la pointe du vêtement de saint Roch, sur la cuvette en pied et sur la cuvette sur le bord gauche avec infime perte de la pointe des traits dans la partie basse.

Les épreuves de ce Saint Sébastien sont rares. Colin Eisler a recensé 15 épreuves dans les collections publiques. L’épreuve du British Museum est un peu plus rognée en tête que la nôtre. Une épreuve vendue chez Christie’s en 2009 et 2011 était un peu plus rognée sur le bord gauche. L’épreuve de l’Albertina de Vienne est par contre bien complète de sa cuvette, de même que celle de Chicago.

Colin Eisler observe que « toutes les épreuves sont couvertes de très fines lignes semblables à des éraillures. » Ces lignes sont bien visibles sur notre épreuve. De même les très légères touches qui servent à rendre la texture des chairs et des vêtements sont bien imprimées.

Petites taches sur le bord droit et lettre H ajoutée à la mine de plomb entre les pieds de Saint Sébastien, sinon excellent état général.

Provenance : collection Marcel Lecomte, son cachet au verso (Lugt 5684).

« Jean Duvet est considéré comme le premier buriniste de la Renaissance française et certainement comme une des personnalités les plus énigmatiques du XVIe siècle français. » (Catherine Chédeau, p. 207). Les estampes de Jean Duvet posent encore de nombreuses questions. La datation de Saint Sébastien, entre Saint Antoine et Saint Roch fait l’objet de débats. On considère généralement qu’il s’agit d’une œuvre de la maturité : « cette estampe est typique du dernier style de l’artiste : sa qualité extrêmement riche et singulière naissant de l’étonnante fusion d’une ligne rugueuse, rapide, avec un clair-obscur dense, dramatique, qui apporte son contraste à l’ensemble » (Eisler, p. 312, notre traduction). La planche peut sembler inachevée : des parties sont seulement esquissées, d’autres sont vides, alors que dans la plupart des estampes de Duvet la gravure remplit entièrement l’espace. Cet inachèvement est-il volontaire ? Catherine Chédeau remarque que « l’inachèvement n’a semble-t-il pas dérouté [le public] puisque certaines [de ces estampes inachevées] sont connues en plusieurs exemplaires. » « Le non-finito est-il un parti esthétique ? » se demande-t-elle donc. « L’un des paradoxes de l’œuvre gravé de Duvet » serait bien selon elle « son attrait à la fois pour le non-finito et l’horror vacui ». (Langres à la Renaissance, p. 231)

Cette horreur du vide est manifeste dans le Saint Sébastien où Duvet a resserré les différentes parties de sa gravure. Les figures de Saint Antoine à gauche, de Saint Sébastien au centre, et du groupe de Saint Roch avec l’ange et le chien à droite, l’ange enfin qui couronne Sébastien et le paysage qui domine la scène, tous ces éléments sont étroitement liés, de sorte que leur équilibre ne repose pas sur les lois de la perspective mais sur leur emboîtement. Paulette Choné, analysant le style de Jean Duvet remarque combien « il ignore l’horizon et la lente fuite des lointains » : les « entassements verticaux », « les empilements sans interstices forment chez Duvet un ostinato très personnel, son monde à lui, fait de futaies, de fabriques vaguement antiquisantes, d’espaces inquiets, [etc.] » Cette horreur du vide se traduit aussi par un « amour du relief » et le soin apporté à l’imitation des différentes textures, « le pelage, l’herbe, les feuilles, les plumes, les écailles, les nudités musculeuses, les grumeaux serrés des nuages… » (Langres à la Renaissance, p. 265).

L’inachèvement, le non-finito, se retrouve dans d’autres burins de Jean Duvet, et particulièrement dans trois burins aux dimensions similaires (en moyenne 248 x 165 mm) : La Mise au tombeau (Eisler 71), Le Désespoir et suicide de Judas (Eisler 72) et Moïse et Saint Pierre (Eisler 73). Nicolas Boffy pense que ces quatre estampes peuvent composer « une suite dont le sens et la logique restent à dévoiler » (Langres à la Renaissance, p. 260). Il suggère que les quatre « illustreraient toutes la même idée : se prémunir des embûches de la « male mort » par la compassion aux souffrances du Rédempteur, la foi dans le Christ et la médiation des saints. ». Colin Eisler rappelle en effet l’hypothèse selon laquelle Saint Sébastien, entre Saint Antoine et Saint Roch, « qui représente trois saints vénérés pour leurs pouvoirs guérisseurs, est l’un des rares exemples français connus de Pestblatt », ces images pieuses censées protéger des épidémies de peste, alors endémiques. Une autre estampe de Jean Duvet, représentant le Martyre de Saint Sébastien (Eisler 4), pourrait appartenir au même registre.

Les influences italiennes de Jean Duvet sont particulièrement sensibles dans cette estampe. Arthur E. Popham a souligné que la figure de Saint Sébastien est très proche de celle d’un des jeunes hommes gravés dans la Bacchanale à la cuve d’Andrea Mantegna. La composition s’inspirerait de celle du Christ ressuscité entre Saint André et Longin du même artiste.

Références : E. Jullien de la Boullaye : Étude sur la vie et l’œuvre de Jean Duvet, 1876 ; Colin Eisler : The Master of the Unicorn: The Life and Work of Jean Duvet, 1979 ; Jean Duvet - Le Maître à la licorne - 1485-1570 ( ?), catalogue de l’exposition, Langres, 1985 ; Catherine Chédeau : « Nouveaux éclairages sur la vie et l'œuvre de l'orfèvre et graveur Jean Duvet (v. 1485 ? -ap. 1562 ?) » in Mémoires de la Commission des antiquités du département de la Côte-d'Or, t. 38, 1997-1999 ; Langres à la Renaissance, catalogue de l’exposition, Langres, 2018.